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Livre du Pere Jourdan : Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans


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Emission Réplique avec le Père Jourdan et Ghaleb Bencheikh.

" La propension à la confusion" ...

Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans : Des repères pour comprendre
de François Jourdan,
préface de Rémi Brague

Lettre de Roger Arnaldez, islamologue, au terme d'une vie d'étude de l'islam




ROGER ARNALDEZ
(Paris, le 13 septembre 1911 ; Paris, le 7 avril 2006)
Académie des Sciences morales et politiques
Élu le 10 février 1986, dans la section Philosophie, Président de l'Académie en 1997.
http://www.asmp.fr/fiches_academiciens/decede/ARNALDEZ.HTM


Enfin, au terme d’une longue vie consacrée à l’étude de l’Islam, le « recyclage » actuel dont je vous parlais, a eu pour résultat de me persuader qu’à part quelques exceptions ( offertes en général par les mystiques) la pensée musulmane n’apporte pas grand’chose à la pensée universelle.

Ce n’est pas la crise islamiste avec son fondamentalisme qui est cause de mon scepticisme et de mes réserves. Mais elle les conforte. Je m’élève contre ceux qui veulent distinguer un « bon » et un « mauvais » islam, comme on a distingué une bonne et une mauvaise Allemagne. J’attends qu’on me dise quel est le principe, théorique ou pratique, des terroristes musulmans , qui n’est pas fondé à la lettre sur un verset coranique. Trop de ceux, chrétiens ou non, qui veulent « sauver » l’Islam en l’idéalisant, n’ont pas eu la patience de lire le Coran, comme autrefois on ne lisait pas « Mein Kampf ».


http://www.libertyvox.com/phpBB/viewtopic.php?t=1481&start=15

Lettre d’Arnaldez adressée au père Maurice Borrmans

si , SUR LE PLAN UNIVERSITAIRE, Roger Arnaldez fut un homme de dialogue, avec des ouvrages comme « Trois messages pour un seul Dieu » (Albin Michel, 1983)ou « A la croisée des trois monothéismes » (Albin Michel, 1993) ,
SUR LE PLAN PERSONNEL Roger Arnaldez restait un catholique très sceptique sur « le sens qu’on peut donner à un dialogue islamo-chrétien ».


Paris le 7 septembre 1994
Mon Révérend Père et cher Ami

Ne croyez pas que je me désintéresse de votre institut d’Islamochristiana et surtout de vous-même. Ce qui se passe, c’est que j’ai accepté de diriger le 4ème volume de l’Encyclopédie philosophique universelle, qui est consacrée aux textes. Or cela me prend tout mon temps : d’une part j’ai une équipe à faire marcher, en France et hors de France ; d’autre part et surtout, je recherche moi-même des textes intéressants et moins connus que ceux des grands ténors de la philosophie, ce qui est captivant et me donne l’occasion d’un complet recyclage.

Néanmoins je compte vous prouver, par untexte écrit, que je ne vous oublie pas, loin de là. Je pense aussi à un article pour Islamochristiana, que vous recevrez d’ici Noël. Vous me demandez un témoignage sur le Père Anawati. J’ai recueilli quelques souvenirs qui sont pour moi significatifs. Peut-être les trouverez-vous sans intérêt. Je vous les envoie à tout hasard. S’ils vous semblent ne pas convenir, n’hésitez pas à les écarter.

En ce qui concerne l’islam, vous savez que depuis longtemps j’ai des doutes sur le sens qu’on peut donner à un dialogue islamo-chrétien.
La situation est des plus simples : être musulman consiste à croire que le Coran est la parole même de Dieu, éternelle ou créée, peu importe. Or il m’est impossible, en lisant ce texte, d’imaginer qu’on puisse faire sienne une telle croyance. Sur ce point, la « psychologie » d’un fidèle sincère, est pour moi un mystère impénétrable , en particulier à notre époque. Comment peut-on se convaincre que le Coran est la parole même de Dieu ? Que peut-on tirer d’un tel livre qui ait quelque valeur et qui ne se trouve pas déjà, sous une forme incomparablement plus parfaite dans l’Ancien ou le Nouveau Testament ou dans les ouvrages anciens (antérieurs à l’Islam) de la tradition juive ou chrétienne ?

Je crois que le Prophète a été véritablement illuminé par l’idée monothéiste, sur laquelle il s’est malheureusement « braqué » et « bloqué ». Mais cela dit, il n’a rien compris à la révélation judéo-chrétienne ; on peut certes l’excuser de n’y avoir rien compris. C’était difficile, sans doute impossible, pour cet homme sans culture.
On trouve dans l’idée qu’il était « ummî »et dans l’usage qu’en font les docteurs de l’islam, la racine d’un tour d’illusionnistes qui émerveillent par de purs artifices un public crédule. Ce n’est pas parce qu’il était « ummî » qu’il est légitime de penser que tout ce qu’il rapporte, ne pouvant venir de la lecture de livres ou d’enseignements reçus, vient forcément d’une prétendue révélation divine, mais c’est parce qu’il était « ummî », qu’il était incapable de comprendre le judaïsme et le christianisme à travers ce qu’il avait pu en voir ou en entendre dire ici ou là.

Mais ne devons-nous pas, ne serait-ce que par honnêteté intellectuelle, dénoncer ce tour de passe-passe des auteurs musulmans ? Que penser, par exemple, de ce point de vue, de la traduction que Md Hamidullah donne de « yâ ukht Harûn » : « Fille d’Aaron, Ô sœur » , avec en note « littéralement( ?) « Sœur Aaronide » ? J’ai, il y a quelques années à Aix, dans une réunion des « Avents » avec le Père Haim, essayé d’affirmer, avec précaution, qu’un chrétien ne pouvait croire que le Coran est la Parole même de Dieu. La réaction des musulmans invités fut des plus vives : j’étais un « ennemi de l’islam. J’eus beau ajouter que les musulmans ne croyaient pas de leur côté que les textes sacrés judéo-chrétiens étaient la parole de Dieu. Cela, ils l’admettaient, mais ils n’admettaient pas que la réciproque était fondée. Comment , dans de telles conditions, concevoir la possibilité du dialogue ?

Quand le pape Jean-Paul II est allé au Pakistan, il prit la parole. Je recevais à cette époque une revue appelée « Vageen ». Elle donna un compte-rendu du discours papal, par un shaykh , qui loua les bonnes intentions du Pape, mais en ajoutant qu’il n’apprenait rien aux musulmans, et que s’il avait connu le Coran, il aurait compris l’inutilité de son intervention. Je ne sais si au Vatican on lit « Vageen » : ce serait une lecture utile ( parmi beaucoup d’autres ouvrages antichrétiens que j’ai dans ma bibliothèque). J’avais donné une photocopie de l’article en question au Cardinal Lustiger. Je ne sais ce qu’il en a fait.

Enfin, au terme d’une longue vie consacrée à l’étude de l’Islam, le « recyclage » actuel dont je vous parlais, a eu pour résultat de me persuader qu’à part quelques exceptions ( offertes en général par les mystiques) la pensée musulmane n’apporte pas grand’chose à la pensée universelle.
On fait grand cas de la civilisation arabe médiévale ; à en croire certains, l’Europe chrétienne, voire toute la pensée et la science dites occidentales, ne seraient rien sans les arabes. Quelle erreur ! Que les savants musulmans aient joué un rôle, c’est incontestable. Mais les traductions du grec en arabe ont été faites par des chrétiens. Saint Thomas en avait d’ailleurs d’autres à sa disposition, faites directement sur le grec par des latins. D’ailleurs calculez combien de fois le Docteur angélique cite Avicenne, Ghazâlî ou Averroès ( et encore souvent pour les critiquer), à côté du nombre de citations qu’il fait des Pères de l’Eglise, et d’autres auteurs chrétiens.
Mais surtout mon « recyclage » m’a permis de constater que le moindre des penseurs européens a , à lui seul, plus d’intérêt que tous les penseurs « arabes » réunis.
Et cela, sans parler des Indiens et des Chinois, que je comprends , il est vrai, plutôt mal, mais dont l’originalité surpasse certainement de loin celle de tous les auteurs musulmans, arabes ou non arabes.
Car ce qu’a écrit Corbin sur les Iraniens, me paraît considérablement interprété, enflé, fantaisiste et fantastique. Tout ce que je vous dis là est si évident, que vous jugerez sans doute que j’aurais pu épargner et la peine pour moi de le dire, et pour vous l’ennui de le lire. Et pourtant !!! Voilà donc, mon cher Père, où j’en suis.

Est-ce à dire que je suis opposé au dialogue ?Non. Il faut , il est vrai, reconnaître que les musulmans en tirent parti pour leur propagande , car ce dialogue les met en vedette. Mais c’est leur affaire . L’essentiel est de ne pas s’y laisser prendre. Je dirai pourtant que ce dialogue est utile aussi aux chrétiens, d’une part parce qu’il leur permet de ne pas s’enfermer dans des idées toutes faites ou dans des ignorances de ce qu’est objectivement l’Islam (en bien ou en mal), ce qui n’est pas chrétien ; mais d’autre part et surtout, parce que la connaissance de cette religion qui se dit monothéiste (mais « qui » est le Dieu unique ?) et abrahamique (mais quel Abraham ? Le seul que je connaisse est celui de la Genèse et non la caricature du Coran), permet de comprendre en profondeur ce qu’est l’incomparable originalité du christianisme.

C’est ce que je disais déjà, il y a longtemps, quand je faisais un cours d’islamologie aux jeunes pères du scolasticat de Fourvière à Lyon. Ce n’est pas la crise islamiste avec son fondamentalisme qui est cause de mon scepticisme et de mes réserves. Mais elle les conforte. Je m’élève contre ceux qui veulent distinguer un « bon » et un « mauvais » islam, comme on a distingué une bonne et une mauvaise Allemagne. J’attends qu’on me dise quel est le principe, théorique ou pratique, des terroristes musulmans , qui n’est pas fondé à la lettre sur un verset coranique. Trop de ceux, chrétiens ou non, qui veulent « sauver » l’Islam en l’idéalisant, n’ont pas eu la patience de lire le Coran, comme autrefois on ne lisait pas « Mein Kampf ». Tout dépend, il est vrai, des commentaires, mais des commentaires, on fait d’eux ce qu’on veut Il reste que le Coran est en soi un engin explosif, et le mieux qu’on puisse en dire, c’est qu’il n’explose que si quelqu’un le met à feu.

Qu’on fasse connaître l’Islam aux chrétiens, c’est parfait (quoique inutile pour leur formation religieuse chrétienne personnelle : l’Evangile suffit à tout) ; mais au moins qu’on le fasse connaître tel qu’il est dans sa racine coranique, et qu’il menace sans cesse d’être ou de devenir selon les circonstances temporelles, socio-politiques ou culturelles.

Cela étant, le propre des chrétiens est d’avoir l’espérance quand ils pensent bien faire. Or c’est penser bien faire que de chercher le dialogue, même s’il n’est pas encore trouvé dans son authenticité de dialogue, pour les raisons très fortes que j’ai dites. Il faut donc persévérer, et je suis vos efforts avec une sincère sympathie. C’est pourquoi je vous enverrai l’article depuis longtemps promis pour Islamo-christiana.
Croyez, mon cher et révérend Père, à toute ma respectueuse et fidèle amitié.

ROGER ARNALDEZ

Grammaire et théologie chez Ibn Hazm de Cordoue (Vrin, 1956)
Jésus, fils de Marie, prophète de l'Islam (Desclée de Brouwer, 1980)
Trois messages pour un seul Dieu (Albin Michel, 1983)
À la croisée des trois monothéismes (Albin Michel, 1993)