J'ai voulu prendre connaissance d'un livre récemment paru aux éditions Flammarion, d'un jeune dominicain. Déception pour le moins ...
Voici la critique de son livre ainsi que d'un de ses articles qui expose ses raisonnements sur le sujet.
Ce prêtre approuve une tribune de Koz, que je trouve également porteuse de logiques défectueuses.
Sur la notion d'essentialisation, je rappelle mon article " Esssentialisation et islamophobie, même sophisme "
http://www.gaucherepublicaine.org/_archive_respublica/2,article,1534,,,,,_Essentialisme-et-islamophobie-meme-sophisme.htm
http://sepharade2.superforum.fr/t6628-essentialisme-et-islamophobie-meme-sophisme-elisseivna
ci dessous aussi réponse à son interview dans le figaro
CRITIQUE DU LIVRE
A propos du livre de Adrien Candiard « Comprendre
l’islam ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien » Champs Actuel
Flammarion 2016.
Mon énervement
commence par le sous-titre et son ambiguité « pourquoi on n’y comprend
rien ». Il pourrait vouloir
dire : mais voilà les moyens de comprendre, du moins d’y comprendre
quelque chose, au moins autant que les savants musulmans eux-mêmes, qui
s’arrêtent modestement là où « dieu sait mieux ».
Il peut vouloir dire aussi, que l’on ne peut
« rien » y comprendre, du moins pas l’essentiel. Et c’est bien cette
perspective là qui est presque aussitôt assénée : circulez y a rien à
voir, ne cherchez pas l’essence de l’islam.
Précisons, j’ai bien compris : c’est une « erreur »
« de croire qu’il n’existe pas ». Il existe, mais il n’a pas
d’essence et il ne faut pas « l’essentialiser »…
… sous peine de :
1
« croire d’abord que les musulmans ne sont
que musulmans » (p19): et allons-y : Marcuse et l’homme pas
unidimensionnel, connait pas, et chercher une « essence » de l’islam,
(les éléments essentiels de la doctrine islamique), ce serait la plaquer sur les musulmans contraints
de s’enfuire pour ne pas finir aplatis en « Toons »….
2
Adopter l’interprétation salafiste et ignorer les
variantes culturelles et théoriques de l’islam :
Par exemple au sujet du djihad,
« trouver que le salafiste aurait raison, parce qu’ainsi au moins nous
serions fixés » (p24), alors que pour le professeur, maître de ses peurs,
entre les différentes versions sur ce sujet, « qui a
raison ? bien malin qui peut le dire »
3
Proférer différentes inepties utilisées pour
dénigrer l’islam : il serait
littéraliste et il interdirait l’interprétation et l’adaptation (ijtihad),
parce que le texte du coran est censé venir de dieu, il exclurait la raison, il
interdirait la diversité de règles dans la voie de dieu, il confondrait
totalement politique et religieux …
Ce sont effectivement des inepties trop
répandues dans des discours caricaturant l’islam, et dont la première est très
drôle à entendre quand on est juif :
en fait évidemment le contraire exactement
est vrai : c’est parce que le texte vient de dieu qu’il contient jusque
dans sa forme et le choix des mots et des lettres, des significations à
déchiffrer, rechercher, des messages dans le message, dans certains cas
difficilement et dans le temps par les humains …
L’islam
sur lequel les musulmans s’accorderaient serait réduit à :
-
la profession de foi : « « croire
qu’il n’y a qu’un dieu et que Mahomet est son prophète
-
« que le Coran témoigne d’une manière ou
d’une autre de la volonté de Dieu pour les hommes,
-
qu’un Jugement divin nous attend au dernier
jour.
-
Ajoutez la croyance aux anges et c’est à peu
près tout. » (p 23)
Et
il faudrait renoncer à chercher « une essence éternelle et stable »
de l’islam (p21).
D’ailleurs
il n’y aurait pas de raison fondamentale de s’inquiéter puisque :
-
« Un juriste classique vous dira … le plus
souvent que le jihad est défensif » (p24)
-
L’islam est compatible avec la démocratie
puisqu’il est compatible avec la séparation du politique et du religieux et
l’adoption de lois civiles « instituées par des procédures non
religieuses »
L’auteur conclut sur un espoir fondamental : « il
existe dans la tradition musulmane une radicalité plus profonde, plus
authentique, qui peut être, comme le proposent certaines voies musulmanes, une
radicalité spirituelle : la recherche de Dieu en soi, la rencontre de Dieu
dans la prière personnelle plutôt que dans l’attentat suicide … »
La vision que l’auteur a de la démocratie est fausse. Dans
la démocratie la loi vient du peuple. Dans l’islam le législateur est :
Dieu. Quand le calife exécute les lois défini par les oulémas, il a une forme
de séparation du religieux et du politique, mais pas de démocratie. Dans les
« démocraties » islamique, le peuple ne peut choisir que dans les
bornes des lois édictées par Dieu. Et quand il s’en éloigne ou quand un
monarque «libéral » s’en éloigne, des révolutions de plus orthodoxes
viennent renverser les « dictateurs ».
Mais le plus grave n’est pas là. Il est dans la description
des caractères « essentiels » de l’islam, caractères non pas « éternels » mais
existant depuis sa création, reconnus par tous les musulmans. L’auteur oublie
la loi islamique, le fait que la loi islamique :
-
A un contenu précis défini, (même s’il est
largement discuté), et non pas seulement un objectif,
-
Et est juridique, c’est-à-dire destinée à s’imposer
par la force.
Or c’est à cause de ce contenu qui fait partie du cœur
nucléaire de la doctrine islamique, qu’aucun musulman ne conteste sérieusement,
théoriquement, que l’islam est dangereux.
Il y a des musulmans qui veulent la laïcité, mais aucune
proposition théorique convaincante ne fait reposer cette idée sur les textes.
D’où la persistance du danger, la persistance de la volonté des musulmans
observants d’imposer la loi islamique par la force.
Ce livre occulte ce problème majeur. Evidemment, ce faisant,
et montrant les travers ridicules en effet de certaines critiques de l’islam,
il est bien accueilli. Mais il est profondément trompeur et donc scandaleux.
UN ARTICLE de Adrien Candiard et mes observations
Ma critique :
Ce que je trouve insupportable dans son attitude en tant que
doctorant, est qu’il empêche toute possibilité de légitime défense, adaptée à
la situation, en commençant par obscurcir la connaissance du réel. Connaissance
qui est la condition de prise de décisions justes et efficace, préservant les
vies.
Il est dans un « dialogue » qui n’aboutit qu’à
paralyser les décideurs européens, et fait en définitive prévaloir toutes les
demandes musulmanes, à commencer par l’accès au territoire, y compris les plus
risquées pour la vie des européens.
Est-ce qu’il n’a aucun esprit de synthèse ou n’a lu aucun
des auteurs qui présentaient des synthèses et des classifications des
systèmes de pensée ?
Cf: le professeur René David, auteur du classique
« grand systèmes de droit contemporains » chez Dalloz, parle des
trois droits religieux : juif, musulman et hindou.
Droit + unicité +
application universelle = guerre. Dans le droit juif il n’y a pas l’application
universelle et dans le droit hindou il n’y a pas l’unicité.
La connaissance de la complexité n’a jamais interdit
l’esprit de synthèse, la recherche des caractéristiques principales, des distinctions déterminantes
et des classifications de systèmes de pensée (tout en reconnaissant exceptions
et particularités individuelles).
Sauf à rester dans une pose précieuse
d’observateur qui paralyse toute possibilité de prise de décision adaptée en
taxant les décideurs de simplification abusive. Une pose pédante post-moderne qui
refuse de voir un sens autre que
celui apparaissant dans chaque esprit individuel.
Cette pose là, avec ce jugement clairement exprimé de
condamnation d’une supposée « essentialisation », mot signifiant
racisme depuis Pierre-andré Taguieff, est insupportable.
Ce que je trouve être un point essentiel dans l’attitude des
premiers chrétiens était précisément de poser clairement publiquement
l’existence d’une discordance radicale de vue, et non pas de l’occulter pour
avoir la paix et ne pas se donner le mauvais rôle du critique.
« On vous a dit cela, je vous dis cela.
Je sais le sens de ce que l’on vous a dit.
Mon propos n’est pas le même, pas pareil, il dit même le
contraire. »
Occulter le problème de la doctrine islamique sous prétexte
qu’on n’y pourrait rien comprendre, est précisément le contraire de cette
attitude.
Dans cet article Adrien Candiard accentue obscurciement et
condamnations, en perdant cette fois au contraire tout esprit de nuance et de
distinction et de discernement … : il
dit qu’il ne faut pas refuser les refugiés mais il faut refuser les
identitaires, qu’il faut condamner l’idée qu’il serait impossible d’être
européen et musulman.
Or il faut refuser l’aide aux réfugiés « n’importe
comment » sans souci de sécurité. Si, Il EST impossible d’être européen et
musulman observant, cela ne le sera
que quand l’europe aura été conquise par l’islam. Les identitaires sont
certainement le contraire de chrétiens intégrals, mais s’ils sont les seuls à
s’occuper de légitime défense , leur action est peut être plus juste que celle
de chrétiens qui laissent des innocents sans défense.
Il faut aussi distinguer rencontre et négociation. On peut
rencontrer tout le monde, nous cotoyons au quotidien tout le monde dans la vie
courante, mais avec des gens pour qui il n’y a jamais de « paix »
tant qu’ils n’ont pas obtenu « la » justice qui ne peut se distinguer
de l’application intégrale de leurs normes, seules justes, la négociation est
un leurre, elle ne peut être que piège et moyen de manipulation et de pression.
C’est presque drôle de trouver les mêmes défauts, snobs et
creux, que ceux du discours « genre » dans les écrits d’un prêtre.
L'ARTICLE DE KOZ SUR LE PAPE
La tribune :
Le pape n’est toujours pas un chef de guerre
Ma critique :
Le choix n'est pas entre identitarisme et chrétienté, entre guerre et
mensonge ou entre guerre et confusion, le choix est entre se décider à
comprendre comment empêcher réellement la poursuite de la guerre actuelle, ou
rester dans l'autosatisfaction et la paresse.
La confusion et l'ignorance sur l'islam créent les conditions de la guerre, des guerres, et c'est contre la confusion et l'ignorance que tous les chrétiens devraient d'abord se mobiliser intellectuellement, mentalement, au lieu d'accuser identitaires ou autres.
Koz prête au Pape une clarté qu'il n'a pas en fait, et devrait avoir, et en plus il en rajoute lui meme dans les confusions ...(!).
Accuser les identitaires non plus n'empêche pas la guerre.
Toutes nos erreurs et ignorances sur l'islam (entre autres données de la guerre) créent et renforcent les conditions du jihad et du terrorisme, car " à un contre 2 sinon deux cent vous vaincrez PARCE QU' ILS NE COMPRENNENT PAS." !
Je pense comme le "fils du Hamas", devenu chrétien d'ailleurs, : " Quand le chef du monde libre dit que l'islam est une religion de paix, il crée le climat pour créer plus de terrorisme - je voudrais pouvoir dire des choses plus gentilles, mais je viens de l'enfer !" Mosab Hassan Youssef
***
COMPLEMENT SUR LE LIVRE DE A. CANDIARD :
----------- INTERVIEW DANS LE FIGARO
MON COMMENTAIRE :
«Le salafisme fantasme l'islam originel contre la tradition
musulmane»
COMPLEMENT SUR LE LIVRE DE A. CANDIARD :
Il passe à côté de l'essentiel qui est l'aspect juridique de l'islam, correspondant l'adoration de la force et la vision d'un dieu qui aime la force et la mort dans l'islam, ce que l'on peut voir dans n'importe quel ouvrage de droit comparé ...
et 2- qu'il rentre dans le jeu de la censure islamique, de la guerre judiciaire et politique des militants de l'islam en utilisant le concept d'"essentialisation", qui est un outil d'accusation de " racisme", et un moyen de faire condamner pour "incitation a la haine raciale", c'est donc TRES grave judiciairement,
et 3 – je lui reproche de décourager de comprendre l'islam, ce qui est extremement grave, car c'est vrai qu'il faut du temps, mais pas des siècles tout de meme,
et il est parfaitement FAUX de dire qu'il y a tout et son contraire dans l'islam sur tous les sujets, alors qu'en fait, il y a des principes essentiels cohérents, et en marge, sur certains points des vues sectaires,
mais il est possible, EN AYANT lu les textes reconnus par tous les oulemas (ou presque...) de distinguer ce qui est coherent avec les principes essentiels et ce qui ne l'est pas,
les Mormons sont chrétiens et (étaient) polygames, mais n'importe quel lecteur d'Isaie et des évangiles et de Paul peut voir que leur justification de la polygamie sur l'ancien testament est tordue, de même, tout, absolument tout, dans le coran, les sunna de Muslim, Bouhkhari, la sira de Ibn ishaq, ibn isham, les principes d'interpretation communs aux ecoles, l'histoire de Tabari ensuite :
tout confirme que le jihad est un devoir jusqu'a la conquête totale de la terre par la oumma,
et la différence, d'après ce que je comprends, essentielle entre islam et christianisme (comme judaisme), est que l'islam fait comme si dieu n'avait pas DEJA TOUT pouvoir matériel sur l'univers, alors que pour le christianisme ou le judaisme, dieu a tout pouvoir, de créer, de faire le déluge, d'envoyer les légions d'ange sauver son fils, mais le seul pouvoir qu'il n'a pas (pas entièrement) est de changer le coeur de chaque homme ou femme, puisqu'il a donné la liberté ...
c'est cette différence qui fait que tout le rapport a la force et au politique change ...
J'ai dit que je trouve le livre d'Adrien Candiard scandaleux, en fait, je trouve CRIMINEL , quand on est un jeune religieux qui n'a que cela à faire, quand on est prêtre, de DESINFORMER à ce point et le Pape et ses confrères, c'est terrible !!!
----------- INTERVIEW DANS LE FIGARO
MON COMMENTAIRE :
Cet article comprend
deux idees majeures ... surprenantes :
1- la norme violente ne serait pas "originelle" dans l'islam mais serait un fantasme des "salafistes" s'opposant à une tradition pacifique :
ainsi les batailles menées par le messager relatées dans le coran seraient des fantasmes ? les conquêtes de la Mecque puis des premiers califes dits bien guidés seraient des fantasmes ? tous les historiens ont tous faux...?
Les théologiens de l'islam "classique" qui (quasi) tous reconnaissent comme source la Sunna "la tradition", avec ses récits détaillant les prescriptions violentes, seraient aussi ceux qui auraient pacifié l'islam (je n'ai pas bien suivi ...?)
2 - selon le coran le législateur est dieu, quel que soit l'organisation du régime politique meme quand le calife mentionné par le coran est remplace par une forme "démocratique" (cf Iran): il n'y a donc pas de séparation reelle du politique et du religieux, comme il peut y en avoir dans un royaume catholique ou le roi est inspiré eventuellement, mais ne sort pas la loi des evangiles ou il n'y en a pas de toute façon.
3- l'idée que l'interprétation des personnes est majeure ...
bien sur mais c'est demander beaucoup aux "interpretes", surtout quand on sait que l'enfer leur est promis s'ils se detournent des ordres donnés, en fait, c'est une injustice de leur en demander autant, au lieu de leur dire : ecoutez vos sentiments humains.
Les musulmans ne sont pas aidés par leurs textes, leur histoire le montre, leur demander de résoudre la quadrature du cercle d'en tirer une loi pacifique ne me parait pas être tres charitable, je trouverais plus charitable de dire combien l'on comprend la difficulté ou ils se trouvent, de reconnaitre la bonne volonté de ceux qui la prouvent etc. Comprendre, au lieu de nier, la situation réelle de l'autre.
1- la norme violente ne serait pas "originelle" dans l'islam mais serait un fantasme des "salafistes" s'opposant à une tradition pacifique :
ainsi les batailles menées par le messager relatées dans le coran seraient des fantasmes ? les conquêtes de la Mecque puis des premiers califes dits bien guidés seraient des fantasmes ? tous les historiens ont tous faux...?
Les théologiens de l'islam "classique" qui (quasi) tous reconnaissent comme source la Sunna "la tradition", avec ses récits détaillant les prescriptions violentes, seraient aussi ceux qui auraient pacifié l'islam (je n'ai pas bien suivi ...?)
2 - selon le coran le législateur est dieu, quel que soit l'organisation du régime politique meme quand le calife mentionné par le coran est remplace par une forme "démocratique" (cf Iran): il n'y a donc pas de séparation reelle du politique et du religieux, comme il peut y en avoir dans un royaume catholique ou le roi est inspiré eventuellement, mais ne sort pas la loi des evangiles ou il n'y en a pas de toute façon.
3- l'idée que l'interprétation des personnes est majeure ...
bien sur mais c'est demander beaucoup aux "interpretes", surtout quand on sait que l'enfer leur est promis s'ils se detournent des ordres donnés, en fait, c'est une injustice de leur en demander autant, au lieu de leur dire : ecoutez vos sentiments humains.
Les musulmans ne sont pas aidés par leurs textes, leur histoire le montre, leur demander de résoudre la quadrature du cercle d'en tirer une loi pacifique ne me parait pas être tres charitable, je trouverais plus charitable de dire combien l'on comprend la difficulté ou ils se trouvent, de reconnaitre la bonne volonté de ceux qui la prouvent etc. Comprendre, au lieu de nier, la situation réelle de l'autre.
L'ARTICLE :
«Le salafisme fantasme l'islam originel contre la tradition
musulmane»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - L'islamologue Adrien Candiard
propose une analyse nuancée de la crise qui traverse le monde musulman. Selon
lui, le monde sunnite est divisé entre une version à la fois moderne et
intolérante de l'islam - le salafisme - à un islam traditionnel nettement plus
à l'aise avec la diversité.
Adrien
Candiard, frère dominicain et membre de l'Institut dominicain d'études
orientales (Le Caire), est islamologue. Il est notamment l'auteur de En finir avec la tolérance?
Différences religieuses et rêve andalou (Paris, PUF, 2014) etComprendre l'islam. Ou plutôt:
pourquoi on n'y comprend rien (Paris, Flammarion, 2016).»
FIGAROVOX - L'irréductible diversité de l'islam sert souvent
d'argument pour mettre hors de cause le fait religieux. «Ce n'est pas l'islam»
est un leitmotiv qu'on entend à chaque fois qu'une action déplaisante est
commise au nom de l'islam. D'autre part, on assiste à une réduction qui
consiste à considérer l'islam comme intrinsèquement violent. Comment échapper à
ce double écueil?
ADRIEN CANDIARD - En période troublée, on cherche des réponses simples. Il faut
pourtant admettre que l'islam - religion qui a quatorze siècles d'histoire, sur
des territoires immenses, et qui compte aujourd'hui plus d'un milliard de
fidèles dans des cultures très différentes - est une réalité complexe. Complexe
ne veut pas dire incompréhensible, mais impossible à réduire à des formules
paresseuses: «L'islam, c'est la paix», «l'islam,
L'islam offre une disponibilité à un usage violent. Cela ne fait
pas de l'islam une religion violente par nature, car avec ces données, de très
nombreux courants, nullement marginaux, ont pu et peuvent encore vivre un islam
pacifique.
c'est la
violence»… Des formules qui n'aident pas à comprendre, parce qu'elles réduisent
l'islam à une de ses dimensions, un de ses courants, voire une de ses
caricatures. L'islam n'a pas un «vrai» visage: il en a plusieurs, et nous
n'avons pas à choisir celui qui nous convient. Ne pas reconnaître cette
diversité et disserter sur la nature de l'islam en général, c'est en fait se
contenter chercher la confirmation de ses propres aspirations, de ses
arrière-pensées politiques ou de ses angoisses ; cela ne nous apprend rien
sur l'islam.
Certains renvoient dos à dos la violence islamique et la violence
d'autres religions. L'islam est-elle une religion spécifiquement violente?
Cette violence est-elle à chercher dans le Coran, ou bien sa racine se
trouve-t-elle ailleurs?
Chaque
religion a ses propres défis par rapport à la violence. Dans le cas de l'islam,
la difficulté tient d'abord à l'ambiguïté des sources à cet égard: on trouve,
dans le Coran ou les hadiths, des appréciations très différentes de la violence
- d'où d'ailleurs notre désarroi. Ces textes réclament donc une interprétation,
et ils ont pu être, dans la tradition musulmane, interprétés de manières très
différentes. De plus, l'imaginaire lié à l'islam primitif n'est pas un
imaginaire non-violent. L'islam offre une disponibilité à un usage violent.
Cela ne fait pas de l'islam une religion violente par nature, car avec ces
données, de très nombreux courants, nullement marginaux, ont pu et peuvent
encore vivre un islam pacifique. Tout texte appelle une interprétation,
spécialement un texte religieux, et même ceux qui prétendent qu'il ne faut pas
interpréter ne font en fait pas autre chose ; or l'interprétation est un
acte éthique, qui engage la responsabilité de l'interprète. Le croyant n'est
pas seulement le jouet d'un texte ou d'une tradition ; la violence peut
être favorisée par un contexte, mais elle est d'abord un choix.
Vous écrivez que le schéma occidental hérité des Lumières, qui
oppose la modernité rationnelle à l'obscurantisme de la Tradition est inopérant
en ce qui concerne l'islam. Pourquoi?
La crise que
traverse aujourd'hui l'islam, dont nous subissons les conséquences, ne nous est
pas opaque seulement parce que nous connaissons mal cette religion ; c'est
aussi que nous appliquons spontanément une fausse grille de lecture. On demande
un islam moderne, donc forcément ouvert, contre la tradition nécessairement
obscurantiste, alors que le conflit de légitimité très violent auquel on
assiste oppose justement une version à la fois moderne et intolérante de
l'islam - le salafisme - à un islam traditionnel nettement plus à l'aise avec
la diversité. Tous les terroristes d'aujourd'hui sont issus de cette réforme
moderne de l'islam qu'est le salafisme.
Le conflit de légitimité très violent auquel on assiste oppose
justement une version à la fois moderne et intolérante de l'islam — le
salafisme — à un islam traditionnel nettement plus à l'aise avec la diversité.
Le salafisme, loin d'être un mouvement conservateur, est un mouvement
rejetant toute la tradition islamique?
Le salafisme
naît du constat que l'islam sunnite traditionnel, celui des califes et des
sultans, des juristes et des théologiens, des philosophes et des soufis, a
échoué face à l'Occident. Si ce dernier a pu imposer sa supériorité dans tant
de domaines, c'est nécessairement que les musulmans ont été infidèles à la
vraie religion. Le salafisme est donc une tentative de retour, contre des
siècles de tradition, à une origine fantasmée et reconstruite. C'est un refus
de l'islam des parents et des grands-parents, un refus de l'islam classique et
de ses formes populaires, au nom d'un très hypothétique islam des premiers
ancêtres. Dire que le salafisme exprime la vraie nature de l'islam, c'est donc
affirmer que les musulmans ne l'ont pas comprise pendant treize siècles! C'est
aussi tomber dans le panneau du discours salafiste, croire qu'il exprime
réellement l'islam originel.
On emploie souvent le terme «islamisme» pour qualifier toute forme
d'islam fondamentaliste. Ce terme vous parait-il approprié? Quelle distinction
apporteriez-vous?
On a forgé ce
mot pour désigner des formes jugées extrémistes de l'islam, et la distinction
entre islam et islamisme sert couramment — à juste titre — à éviter de faire
porter le poids de la violence et du terrorisme à des millions de musulmans qui
n'ont rien demandé. Toutefois, l'islamisme est un fantôme: personne ne s'en
réclame. Ce qui existe, ce sont au moins deux types de mouvements très
différents, que nous regroupons sous ce vocable alors qu'ils n'ont rien de
commun. Il y a d'une part l'islam politique, représenté en particulier par les
Frères musulmans, dont le but est de prendre le pouvoir pour appliquer dans un
cadre politique moderne les normes d'une morale religieuse rigoureuse. D'autre
part, le salafisme, qui n'est pas d'abord politique, entend créer une société
différente, une contre-société dont le modèle est la communauté musulmane
primitive de Médine. Ces mouvements n'ont ni les mêmes buts, ni les mêmes
cadres de pensée, et ils ne touchent pas les mêmes personnes.
Une chose qui effraie dans l'islam est l'absence supposée de
distinction entre religieux et politique. Est-ce une réalité dans l'islam
historique? L'islam peut-il s'accommoder de cette distinction essentielle à la
démocratie?
Cette
impossibilité, en islam, de distinguer religion et politique est une aberration
au regard de l'histoire, qui s'explique par l'adoption — parfois par des gens
qui ne le soupçonnent pas — des thèses des salafistes, avec leur mépris
souverain pour l'histoire. Les grands empires musulmans ont tous été traversés
par cette distinction effective: le calife, figure censée incarner les deux
dimensions, a été la plus grande partie du temps privé et du pouvoir politique,
au profit de militaires (sultans, émirs…), et du pouvoir religieux, au profit
du corps des ulémas. Avec la chute de l'Empire ottoman, après la Première
Guerre mondiale, devant l'effondrement des cadres traditionnels, de nombreux
musulmans entendent repenser le rapport du religieux et du politique. C'est le
moment où se créent les Frères musulmans, en Égypte en 1928 ; c'est le
moment où se structure la pensée salafiste ; c'est aussi le moment où un
sheykh d'al-Azhar, Ali Abderraziq, qui n'a rien d'un admirateur de l'Occident,
publie en 1925 un petit livre (L'islam et les fondements du
pouvoir) où il exprime sa conviction, argumentée en
théologie musulmane, que la révélation coranique ne dit strictement rien de
l'organisation politique. Les débats du monde arabo-musulman sur la démocratie
naissent dans cette période d'effervescence intellectuelle, où l'islam sert de
référence à des positions bien différentes. Nous n'en sommes, à bien des
égards, pas encore sortis. Pour comprendre les difficultés de la démocratie
dans le monde arabe en particulier, il faut ajouter l'héritage complexe des
colonisations, les illusions du nationalisme militaire et du socialisme
tiers-mondiste, le retard de développement… La théologie n'est donc pas absente
dans ces difficultés, mais en faire porter le poids à un islam intemporel,
essentiel, c'est faire preuve à la fois d'amnésie historique et de naïveté.
Finalement, au-delà même de la violence religieuse, c'est la
question des mœurs qui semble poser problème. La question de l'égalité
hommes/femmes, à ce titre est cruciale. Y a-t'il une incompatibilité entre
cette vision islamique du rapport homme/femme et la vision chrétienne, devenue
occidentale?
Religion et
culture s'influencent réciproquement, mais la culture n'est pas l'application
d'une théologie. Identifier par exemple, sur l'égalité entre les hommes et les
femmes, la vision chrétienne et la vision occidentale semble un peu rapide:
qu'on trouve à l'extraordinaire bouleversement du statut de la femme en
Occident depuis un siècle des racines théologiques chrétiennes est
vraisemblable (l'égalité étant par exemple affirmée dès les lettres de Paul),
mais de là à canoniser la libération sexuelle ou la contraception, qui font
partie aujourd'hui du modèle occidental, il y a un grand pas! La théologie
influence la société, mais elle s'adapte aussi à elle. Ainsi, quand on se
demande par exemple si le voile islamique est vraiment une prescription du
Coran, la réponse est non ; non parce que le Coran serait plus libéral,
mais au contraire parce qu'apparemment, il vient d'un monde où les femmes ne
doivent même pas sortir de chez elles. Le voile est donc une adaptation bien
plus tardive, un moyen pour les femmes de sortir, de participer à la vie
publique, tout en restant symboliquement à distance. On peut juger cette
évolution insuffisante ou dérisoire, mais non pas la nier: l'islam ne présente
pas un modèle éternel que l'histoire n'influencerait pas. Et surtout, ces
questions demandent de faire la part des traditions culturelles, très diverses
d'un pays musulman à un autre, de l'héritage familial, des pressions
Il y a urgence à replacer le débat à ce niveau :
celui de la discussion rationnelle. On ne résoudra pas la crise que
traverse l'islam sunnite à la place des musulmans, ni en leur dictant ce qu'ils doivent
croire.
contradictoires,
des hormones… La théologie n'est pas tout!
«L'urgence est à la théologie, une théologie capable de proposer
un islam apaisé avec sa tradition comme avec les questions du temps
présent ; un islam dont il n'est pas possible, à l'avance, de décrire les
contours.», écrivez-vous pourtant. Pourquoi la théologie vous semble-t-elle
importante dans le cadre d'une réforme de l'islam? Est-ce à dire que le clergé
musulman a un rôle primordial dans l'apaisement de l'islam?
La théologie
n'explique pas tout, mais nous avons tous — musulmans, chrétiens, agnostiques,
athées — un besoin urgent de théologie. Pas de catéchisme, mais de théologie,
cette appréhension rationnelle et académique des contenus de la foi, que la
France a exclue de l'Université à la fin du XIXe siècle. Cette exception
française explique en partie notre désarroi, croyants ou non croyants, devant
les phénomènes religieux, que nous ne sommes pas armés pour comprendre ;
plus dramatiquement, cela rend aussi les jeunes plus manipulables par des
discours religieux aberrants. Une religion n'est pas seulement un folklore et
des traditions. Si l'on s'en tient là, la religion n'est plus qu'une question
d'identité, et toute discussion devient impossible: au mieux, on se tolère, et
au pire on se combat. Une religion, ce sont aussi des convictions, des
opinions, des idées. Il n'y a pas seulement un fait religieux, mais également
une pensée religieuse, des pensées religieuses. Il y a urgence à replacer le
débat à ce niveau: celui de la discussion rationnelle. On ne résoudra pas la
crise que traverse l'islam sunnite à la place des musulmans, ni en leur dictant
ce qu'ils doivent croire. Mais on peut les aider en plaçant le débat au bon
niveau, plutôt que par des polémiques estivales dérisoires.