Forum et site arabphone auquel participe Sami Al Deeb
Blog personnel de Sami Al Deeb :
J’ai
reçu la lettre suivante que je publie avec ma réponse en rouge entre les
paragraphes, sans faire mention du nom de l’expéditeur.
Bonjour mon cher Monsieur Sami,
Tout d’abord je me présente: XXX, âge de XXX ans, expatrié en
France depuis XXX ans, travaillant dans le XXX.
J’ai découvert avec un grand
plaisir votre travail sur le coran et la critique du dogme musulman.
Je tiens ainsi à vous remercier pour vos efforts considérables
dans l’étude du Coran. Vous apportez un regard nouveau et surtout libéré à un
texte qu’on respecte certes, mais qui doit sans nul doute être étudié de
manière rationnelle loin de toute croyance. Ce que vous faites avec brio! Et ce
malgré les risques inhérents à une telle démarche. Vous vous attaquez aux
tabous et libérez les esprits! Un grand merci à vous Monsieur aux noms de tous
les musulmans.
Sami Aldeeb: Votre message me
touche beaucoup et je vous remercie de votre amabilité. J’essaie d’apporter ma
contribution malgré les risques dont vous êtes conscient. C’est un devoir moral
envers la société arabo-musulmane dont nous venons tous les deux et
envers la société occidentale dans laquelle nous vivons tous les deux.
Cependant, j’ai une question qui me taraude l’esprit concernant
l’islam en particulier et les religions de manière générale:
Les religions sont une pure création humaine. Je n’en doute pas un
seul instant. Et croire en la révélation est, à mon avis, une altération
intellectuelle qui déforme durablement les capacités de raisonnement d’un
individu…
Sami Aldeeb: Je partage
entièrement votre analyse. C’est la raison pour laquelle je dis que la
révélation n’est pas la parole de Dieu à l’homme, mais la parole de
l’homme sur Dieu, exprimant ses désirs et ses idéaux, avec ce que cela peut
comporter comme imperfections humaines. Rien en effet ne descend du ciel à part
la pluie, les météorites et les excréments des oiseaux. Et parfois, un avion,
qui tombe du ciel. Et si jamais vous voyez un livre descendre du ciel, sachez
qu’il s’agit d’un livre qu’un passager a jeté d’un avion pour s’en
débarrasser. Celui qui dit le contraire, sa place naturelle est la
clinique psychiatrique. Et cela s’applique indistinctement à l’Ancien
Testament, au Nouveau Testament, au Coran et aux Mille et une nuits.
Néanmoins, j’estime qu’il faut distinguer les différentes
composantes de la religion: Légale, Culturelle et Spirituelle.
Donc, ne pensez-vous pas mon
cher Monsieur, qu’il faut, dans la critique des religions, faire la part entre
le légal (dimension légale/juridique), son application par les hommes
(dimension culturelle) et enfin son utilisation à des fins spirituelles (dimension
spirituelle)?
Sami Aldeeb: Je partage
entièrement votre analyse. C’est la raison pour laquelle je publie le Coran par
ordre chronologique (édition arabe et traduction française) afin de pouvoir dissocier la
partie mecquoise moraliste (plus ou moins digeste) de la partie médinoise
légaliste (que je considère toxique, pire que Mein Kampf de Hitler). Je mets en
pratique la théorie du regretté Mahmoud Muhammad Taha, qui a proposé de
laisser de côté le Coran médinois pour ne s’en tenir qu’au
Coran mecquois. Ce penseur soudanais estimait en effet que le Coran
médinois constitue une déviance de l’islam à caractère politique,
correspondant à la mentalité belliqueuse du VIIe siècle et qui viole
les droits de l’homme prônés à notre époque. Mais comme vous le savez, ce
penseur a été pendu sur instigation de l’Azhar en 1985, à cause de cette
théorie. J’ai écrit plusieurs articles et réalisé plusieurs vidéos
expliquant ce point de vue. Ce faisant, je rejoins votre opinion, qu’aucun
régime arabe ou musulman ne partage, hélas. Vous savez probablement que tous
les ministres arabes de la justice ont signé en 1996 un projet de code
pénal arabe unifié prévoyant l’amputation de la main du voleur, la lapidation,
la mise à mort de l’apostat, etc. Vous pouvez consulter à cet effet mon ouvrage sur ce code.
Je vous pose cette question car, ayant grandi au Maroc (au sein
d’une famille musulmane), j’ai connu durant mon enfance un islam souple, soufi
et spirituel. La religion servait surtout à maintenir la cohésion sociale et à
pousser l’individu vers plus de bonté et de compassion.
Bien-sûr avec l’avènement des chaines
télévisées satellites financées par les pays du Golf et notamment avec la vague
de Wahhabisme qui s’est abattue sur la région, la pratique de l’Islam est
passée de sa dimension sociale/spirituelle à une pratique formelle, militante
et sectaire… Personne ne disait durant mon enfance que le paradis était aux
musulmans seuls, ni que le Jihad armé était un devoir… Malheureusement tout a
très vite changé…
Sami Aldeeb: Je ne suis pas sûr
ici de pouvoir partager entièrement votre analyse.
1) Je connais une amie
universitaire athée provenant d’une famille soufie d’Afrique du Nord. Sa
famille la force à faire la prière et à jeûner pendant le Ramadan, la menaçant
d’expulsion de la maison si elle ne s’y soumet pas.
2) Je ne pense pas que les
musulmans de votre enfance pratiquant une religion qui, selon vos
propos, «servait surtout à maintenir la cohésion sociale et à pousser
l’individu vers plus de bonté et de compassion» acceptaient que leur fille
musulmane épouse un chrétien sans lui imposer la conversion à l’islam… sauf
probablement quelques exceptions qui confirment la règle. D’ailleurs, un tel
mariage reste interdit par le Code de la famille marocain.
3) Ce que prône la vague du
Wahhabisme ne diffère en rien de ce qui figure, par exemple, dans l’ouvrage
juridique du malikite Averroès, pourtant présenté comme un philosophe éclairé.
L’EI ne fait qu’appliquer l’islam tel qu’il était enseigné par ce juriste
et tous les autres juristes classiques musulmans, quelle que soit leur école
respective. Je vous renvoie à cet égard à mes deux ouvrages sur le jihad et la jizya, où je reproduis
j’analyse les exégèses depuis le début de l’islam jusqu’à nos jours.
4) Une telle concordance entre
les savants d’époques et de territoires si divers devrait aussi nous suggérer
que le matériel de base contient un message très univoque, quand on prend la
peine de l’étudier dans son ensemble et avec rigueur, comme l’ont toujours fait
les grands juristes et exégètes. Ainsi, si l’on accepte le principe
voulant que le Coran peut guider une évolution spirituelle, ne risquons-nous
pas de favoriser l’émergence, plus ou moins rapide, des doctrines que l’islam a
toujours prônées?
Il faut ainsi faire face à
cette dégradation et critiquer les dogmes religieux de manière frontale. Mais sommes-nous obligés de s’aligner sur le modèle
occidental pour le faire? Surtout si on admet que la spiritualité est
un besoin humain qui n’appartient à aucune religion mais qui découle de la
nature même de l’homme.
Sommes-nous contraints de rejeter le tout? Alors
que seul le coté légal pose problème et celui-ci peut facilement être écarté
dès le moment que l’on fait comprendre aux musulmans que le coran est un
recueil de textes humains et non pas une parole divine. Et que les lois doivent
avant tout être adaptées à l’époque et à son évolution.
Comment ne pas perdre notre spiritualité tout en se débarrassant
de la religion? La méditation, la charité, la
prière, la compassion, le contentement… sont toutes des pratiques
spirituelles nécessaires à une vie équilibrée et à une société humaine saine. Comment pouvons-nous les protéger et les libérer de la
religion?
Comment pouvons-nous faire comprendre à une jeunesse musulmane,
déçue, en colère et surtout pleines de frustrations, que la religion est une
partie du problème et non pas la cause de tous les maux? Comment leur expliquer
qu’on peut se libérer de la croyance religieuse sans perdre la quête du bien,
de soi, du bonheur…
Car j’ai l’impression que notre
jeunesse, dépitée par la réalité du monde musulman et ébahit par le modèle
occidental, crois que le pure matérialisme est la solution… alors que ce
dernier a montré ses limites sur pleins de sujets et qu’on peut, surtout à une
période charnière comme la nôtre, inventer un modèle libéré et plus humain sans
tomber dans les travers du libéralisme matérialiste et sauvage.
Comment pouvons-nous persuader les musulmans convaincus, que faire
évoluer les lois et libérer les sociétés n’est pas forcément synonyme de pertes
des valeurs morales nobles et des liens familiaux? (Bien
que les musulmans manquent terriblement de valeurs ces derniers jours et
résument souvent celles-ci au respect de la maman et à la sexualité…)
Et enfin comment relativiser les critiques? Car
il y a une large différence entre le dogme, son application et son
appropriation par les populations qui restent avant tout humaines et qui
s’adaptent donc, avec plus ou moins de souplesse… Par exemple la place de la
femme dans la société est très différente entre l’Arabie saoudite (origine
bédouine) et mon beau Maroc (culture berbère méditerranéenne), entre les années
70 du siècle dernier et l’actuelle décennie…
Bien-sûr le côté légal et le
caractère révélé de la religion tirent le monde musulman vers le bas (poussés
dans cela par les politiques, le capitalisme, l’ignorance…), mais je maintiens
mon point : il faut relativiser et trier…
Mettre tout dans le même
panier, peut être comparé, à mon avis, à la réaction d’un adolescent qui
commence à comprendre que ses parents ne sont pas parfaits et qu’ils lui
restreignent ses libertés et qui donc, les considère comme les pires des
idiots… alors que malgré leurs défauts, il leur doit sa vie et sa survie…
Ainsi, les religions ne sont
pas parfaites, elles ont causé beaucoup de torts, mais elles font partie de nos
cultures et de notre Histoire. Il suffit donc de réfuter le caractère révélé de
celles-ci, pour qu’elles deviennent un héritage historique comme un autre qui
appartient à son temps et à son époque (Les nordique arrivent bien à faire des films et des séries sur
les violents et sanguinaires Vikings sans que cela ne choque personne car… ils
ne sont pas sacrés et appartient à leur époque… alors pourquoi pas nous?!)
Sami Aldeeb: Je partage
entièrement votre idée que «la spiritualité est un besoin humain qui
n’appartient à aucune religion mais qui découle de la nature même de l’homme».
Je ne demande pas aux musulmans
et aux non-musulmans de la région à laquelle nous appartenons
tous deux de «s’aligner sur le modèle occidental dans la
critique des dogmes religieux», mais de s’aligner sur les principes des
droits de l’homme, universellement reconnus, en prônant la voie proposée par le
regretté Mahmoud Muhammad Taha exposée plus haut. Cette démarche permettrait de
favoriser une opinion plus différenciée, nuancée, de la «révélation» et ainsi
de progresser vers un avenir enfin libéré de certains poids du passé.
Ainsi, en recommandant de s’en
tenir au Coran mecquois et d’abandonner le Coran médinois,
je ne propose pas de «tout rejeter» ou de «tout mettre dans le même
panier», mais de faire une sélection éclairée et d’écarter seulement
la partie toxique du Coran et de la religion musulmane, partie qui est la cause
des tensions sanglantes entre les musulmans et les non-musulmans et dont
les premières et principales victimes sont les musulmans eux-mêmes.
J’espère que je n’étais pas
trop long et je m’excuse de vous déranger avec cet email.
Je sais que du haut de mes
XXX ans, je n’ai ni le recul ni le discernement nécessaires pour
répondre à de telles questions … c’est pour cela que je me tourne vers votre
sagesse mon cher Monsieur Sami.
Je vous remercie encore! Sachez
qu’on vous porte dans notre cœur et qu’on vous sera éternellement reconnaissants
pour votre travail.
Ne vous laissez surtout pas
abattre par les critiques et insultes … Vous apportez à l’islam plus que tous
les cheikhs musulmans réunis. Et une personne qui a votre merveilleux rire ne
peut être que profondément bonne
Que Dieu vous garde (pas celui
de la religion mais celui de la beauté )
Respectueusement,
Votre élève et fils, XXX
Sami Aldeeb: Je tiens ici
à vous remercier de vos aimables propos et j’espère que j’ai répondu, au moins
partiellement, à vos questionnements, sans vous blesser.
Sami
Aldeeb, Professeur des universités
Directeur du Centre de droit arabe et musulman
Editeur du Coran en arabe et traducteur du Coran en français par ordre chronologique, et auteur de nombreux ouvrages
www.sami-aldeeb.com
www.blog.sami-aldeeb.com
Directeur du Centre de droit arabe et musulman
Editeur du Coran en arabe et traducteur du Coran en français par ordre chronologique, et auteur de nombreux ouvrages
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Je vous prie de diffuser cet
article partout où vous pouvez.